Raymond André Jaunin vous raconte son histoire

« Va de bon cœur », le nom de ce splendide voilier en bois provient du nom donné à l’un de ses compagnons du devoir. Son design lui est inspiré du voilier de Tabarly, le Pen-Duick 3.

1982, en Suisse, Mr Raymond André Jaunin débute la construction de son voilier. C’est sur sa propriété que commence l’aventure à partir de troncs d’Acajou. Encouragé et soutenu par sa famille et ses amis, il procède pas à pas à la construction de son navire… Le media Suisse RTS suit son histoire depuis 4 ans et était également présent à son arrivé à Port Navy Service ainsi qu’à la mise à l’eau.

 

Raymond André Jaunin vous raconte son histoire.

 

Comment et pourquoi ?

Le vrai début commence en 1970 après la construction de mon SNIPE. Petit dériveur qui eut son heure de gloire dans les années 1950 à 1980.

Ă€ cette Ă©poque je m’Ă©tablis Ă  mon compte dans la charpente, je suis Compagnon Charpentier des Devoirs de LibertĂ©. Mon nom de Compagnon est « Romand La PersĂ©vĂ©rance ». MariĂ© en 63, j’ai 2 garçons et une charmante Ă©pouse, j’ai du travail, mais je continue de rĂŞver, ma petite famille va bien. Après la lecture de « Aux Quatre Vents de L’aventure » de Marcell Bardiaux, je dessine et redessine mon bateau me calquant sur le sien, un tour du monde en voilier serait formidable. Mais 9 mètres c’est petit pour une famille. Ă€ cette Ă©poque je suis un admirateur de Tabarly, et son « Pen-Duick 3 » m’inspire.

En 1975 un accident de travail m’ampute de plusieurs doigts de la main gauche, j’ai la chance d’ĂŞtre opĂ©rĂ© par un des meilleurs chirurgiens de l’Ă©poque, le Docteur AndrĂ© Charnay qui deviendra ainsi que son Ă©pouse des formidable amis et avec qui je passerai des jours en mer entre la Turquie et la Grèce sur « La Fraidieu » (vent du lac LĂ©man). Et la chance me sourit, on m’offre une place de maĂ®tre d’apprentissage dans une Ă©cole professionnelle pour les apprentis charpentiers, je suis dĂ©jĂ  supplĂ©ant, mais lĂ  ce serait Ă  plein temps, le choix est fait, je boucle mes chantiers en cours et accepte le poste. Mon atelier est libre ou presque, je peux me lancer dans l’aventure.

L’enseignement me laisse du temps, en 1977 je contacte Georges Auzepy-Brenneur, architecte naval Ă  la Celle-St-Cloud près de Paris. Je connais ces rĂ©fĂ©rences par le voilier Kritter construit pour la course autour du monde, le rendez-vous est pris et me voilĂ  avec mon Ă©pouse devant 2 ou 3 plans de bateaux susceptibles de nous convenir. Le choix est fait pour un Ketch de 16,67m x 4,80 son nom sera « VA DE BON CĹ’UR » en souvenir du premier Compagnon qui a travaillĂ© avec moi sur mon premier chantier (la maison et grange d’Émile Miville Ă  Cartigny) son nom, Joseph Lescot … Va de Bon CĹ“ur.

 

Attentes et visions

Dans tout projets il y a une part de rĂŞves, sa rĂ©ussite dĂ©pend de la volontĂ©, l’obstination et la persĂ©vĂ©rance que l’on est capable de conjuguer, ne pas penser trop loin, foncer dans l’inconnu et surtout croire en soi.

La charpente je connais, la construction navale un peu moins, mais n’appelle-t-on pas les constructeurs de bateaux « Charpentier de marine » alors pourquoi pas moi ? J’ai reçu les plans, je dĂ©marre : Épures et tracĂ©s Ă©chelle 1 :1, 15 jours Ă  genoux, collage des 38 membrures, baraults de pont, montage du squelette, collage de la semelle de quille, re dĂ©montage, ajustage des cloisons transversales et re montage dĂ©finitif. OUF … Presque un mois d’avance sur le planning. Ă€ ce rythme dans 5 ans c’est bâclĂ© !

Étape suivante : pose des lisses, bauquières, contre-bauquière, renfort divers et contrôle des courbes avec un coup de rabot par-ci par-là. Prêt pour recevoir la coque en bois moulé.

Entre temps le plaquage en Acajou a Ă©tĂ© commandĂ©, sciĂ© et sĂ©chĂ© 700 m2 en 6mm d’Ă©paisseur. PrĂŞt ? partez. Travail de 2 mois seul ou Ă  deux, mĂŞme mes deux fils 14 et 15 ans pour agrafer et retirer les agrafes des sangles, 5 couches dont la première en contreplaquĂ© 4 mm pour l’aspect intĂ©rieur, ça va toujours plus vite 4 mois d’avance !

Philippe Durr (constructeur naval et champion du monde 6m JO, Daniel Deshuss Ă©galement constructeur naval viennent fibrer la coque avec moi, quelques petits problèmes avec la rĂ©sine vite rĂ©solus. Quelle Ă©tape, c’est enfin un bateau, une couche de fond une première couche de blanc et c’est prĂŞt pour le retournement.

1982, 40ème anniversaire de ma femme tout est prĂŞt, palans, Ă©lingues, main d’Ĺ“uvre, famille et amis, porte grande ouverte et des spectateurs admiratifs. Camera super 8 et en avant la musique. Un jour, un de plus mais lequel ! Le soir le bateau est retournĂ© et les larmes coulent. La soirĂ©e sera longue et bien arrosĂ©e.

Une pensée pour Tony Moline navigateur malheureux de la transat en double. Il a construit son rorqual sur plan Auzepy mais perd son bateau lors de la course. Décédé depuis il était là prêtant main forte lors du retournement.

 

 

Ralentissement et abandon partiel

Encore quelques belles envolées, coupe des Barrault pour le coque-pit fabrication du roof, cloisons longitudinales, aménagement intérieur, les deux premières couches du pont, couchettes, rangements, plancher provisoire etc.

Ă€ partir de 1987 l’abandon est total, je quitte l’enseignement et je rĂ©ouvre l’entreprise avec mon fils, 1990 je pars en Afrique, 6 mois coopĂ©ration technique au Cameroun, retour difficile cassure familiale sĂ©paration. De 1995 Ă  1998 achat et rĂ©paration d’une maison de village, travail Ă  l’entreprise, voyages. Un petit sursaut en 2003 finition du pont avec un ami. Puis plus rien, poussière partout et de temps en temps un nettoyage pour une visite.

Entre 2004 et 2018 le rĂŞve est toujours prĂ©sent, mais plus l’Ă©nergie ou plutĂ´t la passion, pris par les alĂ©as de la vie je me disperse, dĂ©cès de mon amie, nouvelle rencontre. La Russie devient mon centre d’intĂ©rĂŞt, expĂ©riences et voyage qui se termine par un « FLOP ». Se sĂ©parer du bateau, le vendre ? Ă€ qui ? Sans quille, sans hĂ©lice et gouvernail, sans rien de fini, impossible. La patience de mon fils François qui tourne autour de ce monstre qui lui prend la moitiĂ© de l’atelier depuis 1987 ! Merci Fils.

 

Le Renouveau

En octobre 2012, grâce Ă  mes amis Marcel et Betty, je fais une nouvelle rencontre. Roswitha rentre dans ma vie. Le bateau l’interpelle, mais avant tout nous devons organiser notre vie. En 2015 le choix est fait nous allons nous expatrier en Espagne, Ă  Majorque aux BalĂ©ares. Et le bateau ? OubliĂ© …. Seulement voilĂ  il trĂ´ne toujours au milieu de l’atelier, il faut absolument libĂ©rer la place, de plus que mes petits fils entrent Ă  leurs tours dans l’entreprise de leur Père. Fin 2018 Marcel Lachat nous propose de le racheter pour une somme dĂ©risoire, de le mettre dans son jardin musĂ© et d’en faire un « mobile home » C’est le dĂ©clic, le mot de trop, Ă  cet instant prĂ©cis la dĂ©cision est prise, Roswitha et moi l’avons dĂ©cidĂ©, ON VA LE TERMINER. Première grande Ă©tape peinture de la coque d’un blanc immaculĂ©, merci Ă  Phil et Antoine. Et voilĂ  le 15 juillet le bateau sort de l’atelier en grandes pompes. Une place pour le finir m’est offerte par Arnaud Fulliquet dans la cour de son entreprise 1 km Ă  peine plus loin, Ă  ce jour la quille et le lest sont en place le moteur et l’hĂ©lice vont suivre ainsi que le gouvernail. Par chance mon autre fils pierre qui est serrurier me fabrique toutes les pièces mĂ©tallique, travail de famille qui nous « resoude «VA DE BON CĹ’UR » est entre de bonnes mains.

 

 

EPILOGUE :

Il reste encore beaucoup de travail, et trouver des fonds deviens indispensable jusqu’Ă  la mise Ă  l’eau, mais comme dit le dicton. « A CĹ“ur Vaillant Rien d’impossible » que Dieu nous garde de son amour et nous prĂ©serve en bonne santĂ©. Les prĂ©visions sont optimistes, 5 Ă  6 mois et le bateau ira jusqu’Ă  Marseille dans un chantier naval pour quelques finitions, puis, voguera jusqu’Ă  Majorque. Qui devrait ĂŞtre son port d’attache.

VoilĂ  le premier chapitre se termine lĂ , il reste le second Ă  Ă©crire, celui qui nous donnera certainement encore beaucoup d’Ă©motion et de larmes, mais la VOLONTÉ et l’OBSTINATION conjuguĂ©es fera de ce rĂŞve si longtemps caressĂ©, une rĂ©alitĂ©.

 

Mr Raymond André Jaunin